"El Neno"  
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Léon BOUISSEREN
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Un métier peu courant
LE CHARLOT !

Ah! Vous ne savez pas ce qu'est un charlot ? Vous n'êtes pas de la région, sans doute... Un charlot, c'est un clown taurin, un Paillasse des arènes. Son rôle? Faire rire en faisant des facéties à un taureau. Vu des arènes, ça semble facile d'attraper l'animal, l'amener à des  situations comiques, bref, le dominer et lui imposer sa volonté, un peu comme le matador mais avec le rire en plus. "Ces animaux sont dressés, vous dira-t-on, ce ne sont pas de vrais taureaux". Oh que si ! Ce sont d'authentiques ternains (taureaux de trois ans NDLR) qui n'ont jamais couru en piste mais qui feront peut-être demain de bons cocardiers. Et ils ont des cornes! Et ils brûlent d'envie de s'en servir... Pour en savoir plus, nous avons retrouvé une des gloires de l'époque, "El Neno", aujourd'hui paisible retraité à Lunel. Et il nous a expliqué les dessous de ce métier.

" Non, les taureaux ne sont pas choisis en fonction de leur calme. Souvent, nous ne savons pas ce que nous devons toréer. Tenez, je me souviens qu'à Toulouse, nous devions nous produire dans les arènes; nous étions allés voir les deux bêtes qu'on nous donnait à travailler. C'était deux taureaux espagnols, en fait des taureaux de réserve de précédentes novillades ! Nous n'étions pas très chauds car le bétail n'était pas le même ! Pensez, nous étions habitués à rencontrer des taureaux de Camargue, nerveux et endurants mais beaucoup plus légers ! Arrêter un animal de quelques 250 kilos en l'attrapant par les cornes, ça n'allait pas être du tout-cuit... En fait, ces taureaux se sont montrés beaucoup plus faciles à travailler que des Camargue parce qu'ils sont beaucoup plus francs. Le taureau espagnol regarde la cape mais le Camargue s'intéresse aux pieds qui sont dessous... Finalement, à Toulouse, avec mes deux compères, on a fait un triomphe. Mon premier taureau, ce jour-là, je lui ai posé des banderilles à bicyclette ! "

Des banderilles à bicyclette ! La spécialité d'"El Neno" c'était de s'asseoir au milieu de l'arène, de citer (d'appeler) le taureau qui le chargeait alors. Et au passage, "El Neno" lui plaçait une paire de banderilles et se laissait enjamber par la bête, emportée par son élan et attirée ailleurs par son comparse Don Lopez. Ou bien de sauter sur l'animal, s'installer assis entre ses cornes et lire le journal pendant que le fauve remuait la tête pour se débarrasser de l'intrus. Vu des gradins, cela paraît simple mais en fait tout est calculé: il s'agit bien d'une cascade. Et même bien calculé, quelquefois le taureau reste imprévisible et a des réactions inattendues. Et alors...

Souvent, nos charlots accompagnaient une musique, célèbre à l'époque, et connue sous le nom d'"El Gallo". Le programme était d'abord musical (et très apprécié) puis on lâchait un taureau avec les musiciens en piste.

Le trio comique de la troupe El Gallo
(El Neno, Don Lopez et El Rubio)
aux arènes d'Oran (Algérie) en 1954


Tout le travail des charlots était de faire rire le public et d'empêcher la bête de s'approcher trop près de l'orphéon. L'orchestre entrait dans le jeu et "la photo" par exemple était un modèle du genre: on amenait la bête devant les musiciens, tout le monde prenait la pose car un photographe allait immortaliser l'instant et au moment où la photo est prise, l'appareil explosait et tout le monde, taureau compris, se retrouvait couché. Ce sketch a fait rire des millions de personnes. Et la finale consistait à faire monter Loubatière, le chef de musique, sur le dos du taureau pour diriger l'orchestre !

Avec ou sans "El Gallo", El Neno et ses comparses vont aller un peu partout dans le monde:
" En Belgique ou en Allemagne, pas question de poser des vraies banderilles qui piquent le cou du taureau: il fallait remplacer les pointes par la colle, mais ça ne tenait pas bien. En Espagne par contre, il fallait tuer l'animal mais ça, nous ne voulions pas le faire car notre rôle c'était de faire rire avec un taureau comme partenaire qui devenait un peu un ami. Alors on nous adjoignait un peon ".

Nous avons regardé et commenté des photos du passé. On comprend alors facilement que ce métier qui semble si facile est un vrai métier à risque. Et comme la tenue estivale laisse les bras et les jambes découverts, de nombreuses coupures, cicatrices et estafilades sont là pour confirmer. Mais le souvenir d'arènes entières secouées par le rire justifie amplement tous ces désagréments.

Texte écrit avec la complicité de M. Léon Bouisseren, dit "El Neno"


elneno©2007 - Tous droits réservés   -  Delphine CALBA - Mis à jour le 11/04/2008